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Isabelle Alexandrine Bourgeois
Texte poignant de Coline Serreau qui ne mâche pas ses mots...
Dimanche 22 mars. Coline Serreau, réalisatrice de Trois hommes
et un couffin, mais aussi de films visionnaires, écolos, humanistes
et généreux comme La belle verte ou La crise.
LE MONDE QUI MARCHAIT SUR LA TÊTE EST EN TRAIN DE
REMETTRE SES IDÉES A L’ENDROIT
par Coline Serreau
Le gouvernement gère l'épidémie comme il peut… mais les postures
guerrières sont souvent inefficaces en face des forces de la nature.
Les virus sont des êtres puissants, capables de modifier notre génome,
traitons-les sinon avec respect, du moins avec modestie.
Apprenons à survivre parmi eux, à s'en protéger en faisant vivre l'espèce
humaine dans des conditions sanitaires optimales qui renforcent son immunité
et lui donnent le pouvoir d'affronter sans dommage les microbes et virus dont
nous sommes de toute façon entourés massivement, car nous vivons dans la grande
soupe cosmique où tout le monde doit avoir sa place. La guerre contre les virus sera
toujours perdue, mais l'équilibre entre nos vies et la leur peut être gagné si nous
renforçons notre système immunitaire par un mode de vie non mortifère.
Dans cette crise, ce qui est stupéfiant c’est la rapidité avec laquelle l'intelligence
collective et populaire se manifeste.
En quelques jours, les français ont établi des rites de remerciement massivement
suivis, un des plus beaux gestes politiques que la France ait connus et qui prolonge
les grèves contre la réforme des retraites et l'action des gilets jaunes en criant
haut et fort qui et quoi sont importants dans nos vies.
Dans notre pays, ceux qui assurent les fonctions essentielles, celles qui font tenir
debout une société sont sous-payés, méprisés. Les aides-soignantes, les infirmières
et infirmiers, les médecins qui travaillent dans les hôpitaux publics, le personnel
des écoles, les instituteurs, les professeurs, les chercheurs, touchent des salaires
de misère tandis que des jeunes crétins arrogants sont payés des millions d'euros
par mois pour mettre un ballon dans un filet.
Dans notre monde le mot paysan est une insulte, mais des gens qui se nomment
"exploitants agricoles" reçoivent des centaines de milliers d'euros pour faire
mourir notre terre, nos corps et notre environnement tandis que l'industrie chimique prospère.
Et voilà que le petit virus remet les pendules à l'heure, voilà qu'aux fenêtres,
un peuple confiné hurle son respect, son amour, sa reconnaissance pour les vrais
soldats de notre époque, ceux qui sont prêts à donner leur vie pour sauver la nôtre
alors que depuis des décennies les gouvernements successifs se sont acharnés à
démanteler nos systèmes de santé et d'éducation, alors que les lobbies règnent en
maîtres et arrosent les politiques avec le fric de la corruption.
Nous manquons d'argent pour équiper nos hôpitaux, mais bon sang, prenons l'argent
où il se trouve, que les GAFA payent leurs impôts, qu'ils reversent à la société au minimum
la moitié de leurs revenus. Car après tout, comment l'ont-ils gagné cet argent ? Ils l'ont
gagné parce qu'il y a des peuples qui forment des nations, équipées de rues, d'autoroutes,
de trains, d'égouts, d'électricité, d'eau courante, d'écoles, d'hôpitaux, de stades, et
j'en passe, parce que la collectivité a payé tout cela de ses deniers, et c’est grâce à
toutes ces infrastructures que ces entreprises peuvent faire des profits.
Donc ils doivent payer leurs impôts et rendre aux peuples ce qui leur est dû.
Il faudra probablement aussi revoir la question de la dette qui nous ruine en
enrichissant les marchés financiers. Au cours des siècles passés les rois de France
ont très régulièrement décidé d'annuler la dette publique, de remettre les compteurs à zéro.
Je ne vois pas comment à la sortie de cette crise, quand les comptes en banque
des petites gens seront vides, quand les entreprises ne pourront plus payer leurs
employés qui ne pourront plus payer les loyers, l'électricité, le gaz, la nourriture,
comment le gouvernement pourra continuer à gaspiller 90% de son budget à rembourser
une dette qui ne profite qu'aux banquiers.
J'espère que le peuple se lèvera et réclamera son dû, à savoir exigera que la richesse
de la France, produite par le peuple soit redistribuée au peuple et non pas à la finance
internationale. Et si les autres pays font aussi défaut de leur dette envers nous, il faudra
relocaliser, produire de nouveau chez nous, se contenter de nos ressources, qui sont immenses,
et détricoter une partie de la mondialisation qui n'a fait que nous appauvrir.
Et le peuple l'a si bien compris qu'il crie tous les soirs son respect pour ceux qui soignent,
pour la fonction soignante, celle des mères, des femmes et des hommes qui font passer l'humain avant le fric.
Ne nous y trompons pas, il n'y aura pas de retour en arrière après cette crise.
Parce que malgré cette souffrance, malgré ces deuils terribles qui frappent tant de familles,
malgré ce confinement dont les plus pauvres d'entre nous payent le plus lourd tribut, à savoir
les jeunes, les personnes âgées isolées ou confinées dans les EHPAD, les familles nombreuses,
coincés qu'ils sont en ville, souvent dans de toutes petites surfaces, malgré tout cela, le monde
qui marchait sur la tête est en train de remettre ses idées à l'endroit.
Où sont les vraies valeurs ? Qu'est-ce qui est important dans nos vies ?
Vivre virtuellement ? Manger des produits issus d'une terre martyrisée et qui empoisonnent nos corps ?
Enrichir par notre travail ceux qui se prennent des bonus faramineux en gérant les licenciements ?
Encaisser la violence sociale de ceux qui n'ont eu de cesse d'appauvrir le système de soin et
nous donnent maintenant des leçons de solidarité ?
Subir une médecine uniquement occupée à soigner les symptômes sans se soucier de prévention,
qui bourre les gens de médicaments qui les tuent autant ou plus qu'ils ne les soignent ?
Une médecine aux ordres des laboratoires pharmaceutiques ?
Alors que la seule médicine valable, c’est celle qui s'occupe de l'environnement sain des humains,
qui proscrit tous les poisons, même s'ils rapportent gros. Pourquoi croyez-vous que ce virus qui
atteint les poumons prospère si bien ? Parce que nos poumons sont malades de la pollution et
que leur faiblesse offre un magnifique garde-manger aux virus.
En agriculture, plus on cultive intensivement sur des dizaines d'hectares des plantes transformées
génétiquement ou hybrides dans des terres malades, plus les prédateurs, ou pestes, les attaquent
et s'en régalent, et plus il faut les arroser de pesticides pour qu'elles survivent, c’est un cercle
vicieux qui ne peut mener qu'à des catastrophes.
Mais ne vous faites pas d'illusions, on traite les humains les plus humbles de la même façon que
les plantes et les animaux martyrisés.
Dans les grandes métropoles du monde entier, plus les gens sont entassés, mal nourris, respirent
un air vicié qui affaiblit leurs poumons, plus les virus et autres "pestes" seront à l'aise et attaqueront
leur point faible : leur système respiratoire.
Cette épidémie, si l'on a l'intelligence d'en analyser l'origine et la manière de la contrer par la
prévention plutôt que par le seul vaccin, pourrait faire comprendre aux politiques et surtout
aux populations que seuls une alimentation et un environnement sains permettront de se défendre
efficacement et à long terme contre les virus.
Le confinement a aussi des conséquences mentales et sociétales importantes pour nous tous,
soudain un certain nombre de choses que nous pensions vitales se révèlent futiles.
Acheter toutes sortes d'objets, de vêtements, est impossible et cette impossibilité devient
un bonus : d'abord en achetant moins on devient riches.
Et comme on ne perd plus de temps en transports harassants et polluants, soudain on comprend
combien ces transports nous détruisaient, combien l'entassement nous rendait agressifs,
combien la haine et la méfiance dont on se blindait pour se préserver un vague espace vital, nous faisait du mal.
On prend le temps de cuisiner au lieu de se gaver de junk-food, on se parle, on s'envoie des
messages qui rivalisent de créativité et d'humour.
Le télétravail se développe à toute vitesse, il permettra plus tard à un nombre croissant de gens
de vivre et de travailler à la campagne, les mégapoles pourront se désengorger.
Pour ce qui est de la culture, les peuples nous enseignent des leçons magnifiques : la culture n'est
ni un vecteur de vente, ni une usine à profits, ni la propriété d'une élite qui affirme sa supériorité,
la culture est ce qui nous rassemble, nous console, nous permet de vivre et de partager nos émotions
avec les autres humains.
Quoi de pire qu'un confinement pour communiquer ? Et pourtant les italiens chantent aux balcons,
on a vu des policiers offrir des sérénades à des villageois pour les réconforter, à Paris des rues
entières organisent des concerts du soir, des lectures de poèmes, des manifestations de gratitude,
c’est cela la vraie culture, la belle, la grande culture dont le monde a besoin, juste des voix qui chantent
pour juguler la solitude.
C’est le contraire de la culture des officines gouvernementales qui ne se sont jamais préoccupées
d'assouvir les besoins des populations, de leur offrir ce dont elles ont réellement besoin pour vivre,
mais n'ont eu de cesse de conforter les élites, de mépriser toute manifestation culturelle qui plairait au bas peuple.
En ce sens, l'annulation du festival de Cannes est une super bonne nouvelle.
Après l'explosion en plein vol des Césars manipulés depuis des années par une maffia au fonctionnement
opaque et antidémocratique, après les scandales des abus sexuels dans le cinéma, dont seulement une
infime partie a été dévoilée, le festival de Cannes va lui aussi devoir faire des révisions déchirantes et
se réinventer. Ce festival de Cannes qui déconne, ou festival des connes complices d'un système rongé
par la phallocratie, par la corruption de l'industrie du luxe, où l'on expose complaisamment de la chair
fraîche piquée sur des échasses, pauvres femmes porte-manteaux manipulées par les marques, humiliées,
angoissées à l’idée de ne pas assez plaire aux vieillards aux bras desquels elles sont accrochées comme
des trophées, ce festival, mais venez-y en jeans troués et en baskets les filles, car c’est votre talent,
vos qualités d'artiste qu'il faut y célébrer et non pas faire la course à qui sera la plus à poil, la plus pute !
Si les manifestations si généreuses, si émouvantes des peuples confinés pouvaient avoir une influence sur
le futur de la culture ce serait un beau rêve !
Pour terminer, je voudrais adresser une parole de compassion aux nombreux malades et à leurs proches,
et leur dire que du fin fond de nos maisons ou appartements, enfermés que nous sommes, nous ne cessons
de penser à eux et de leur souhaiter de se rétablir. Je ne suis pas croyante, les prières m'ont toujours
fait rire, mais voilà que je me prends à prier pour que tous ces gens guérissent. Cette prière ne remplacera
jamais les soins de l'hôpital, le dévouement héroïque des soignants et une politique sanitaire digne de ce nom,
mais c’est tout ce que je peux faire, alors je le fais, en espérant que les ondes transporteront mon message,
nos messages, d'amour et d'espoir à ceux qui en ont besoin.
Coline Serreau
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